Surgissements d’intimité
Christian Noorbergen, le 16 janvier 2024
Christine Trouillet fusionne au profond l’art et la sensibilité. Étreinte sacrale de l’absence et de la peinture, de la lumière et du désir. Chez elle, les lieux de vie creusent l’intimité vitale. Chez elle, les couleurs crues ont déserté les apparences.
Le blanc peint est un territoire de fragilité, de sourde inquiétude, et de tension souveraine. Les dehors du monde ont disparu.
La blancheur passante, sur fond de ténèbres, s’abandonne en grand silence aux fines grisailles de l’existence… Âpre et brûlante, l’insidieuse peinture de Christine Trouillet prend la réalité à la gorge, sur fond d’ultime séparation, et de sensible nostalgie. Impact implacable, hors durée, et nu. Tout semble en suspens. Le souffle des choses a disparu. Fines couleurs assourdies qui absorbent les contours, en masses profondes qui dématérialisent le monde.
Tous les lieux, ici, sont un seul lieu, habité d’âme. Les corps de vie se sont éloignés, et la peinture a pris toute la place. Chez Christine Trouillet, l’émotion la plus nue et la plus forte s’empare à vif de qui ose regarder et se laisser regarder par ces signes habités. La table éparse, le fauteuil ouvert et la fenêtre masquée d’étrangeté sont en creux des symboles évidés de l’être. Peinture exigeante et première de l’imminence et de la proximité. Imminence du drame aigu de l’existence, au bord ultime de la mélancolie et des subtils secrets. Proximité cruelle de la présence, énigmatique et disparue, tout au bout des doigts qui pourraient toucher, tout au bout des regards qui savent voir que tout fait demeure au corps absent.
A jamais inassouvies, les rêveries du désir étendent leurs vagues charnelles sur les chocs adoucies du mobilier. Fabuleux paysage d’intimité. C’est l’autre en soi que cherche la peinture, dans l’autre de l’espace, et dans la fusion-effusion des non-couleurs. Et la brutalité chromatique, comme le sang, s’est retirée, laissant toute place possible aux exigences d’une infinie sensibilité, insondable et vive.
L’art fait remède au réel, et vit de l’éloignement salutaire de l’impensable destin. Si l’espace est demeure d’univers, les lieux blancs sont lieux de rencontre, et lieux d’amour ténus où s’échangent les îles du dehors et les îles du dedans. Belle et vraie peinture, décantée et classieuse, retenue et discrète, dense et souterraine. Si la gamme chromatique est resserrée, c’est pour mieux cerner le drame latent de sa saisissante scénographie. Christine Trouillet délivre une intense parole de vie où l’âme des objets peints s’unit à jamais à l’éphémère et tendre brûlure de l’être.
Jusqu’au 31 janvier 2024
Galerie Claudine Legrand – Paris
N°2301 La fleur que l’on arrose – 100×81 cm